Aux branches claires des tilleuls, meurt un maladif hallali & ce qui reste des voies ferrées autour de Cracovie saute, une fois encore, dans un assourdissant vacarme d'explosions en série, indice de sabotages à répétition. L'armée du Grand Duc Vladimir avait paru s'arrêter après les combats de Varsovie. Hier elle a repris sa marche, très abrupte. Les trois armées de Pologne sont dirigées à marche forcée sur Cracovie. Là, les Russes avancent dans le jardin de cette turbulence qu'est la guerre impitoyable, aux moyens décuplés par l'industrie. Les Italiens sont balayés, les Autrichiens doivent lâcher prise & perdent une armée complète dans la retraite. Cracovie est occupée une seconde fois. De l'autre côté du front, c'est beaucoup plus serré. C'est dimanche matin, à la première heure, que les Russes ont repris possession de la ville de Lublin, que les Autrichiens n'étaient pourtant pas décidés à offrir. Mais, tracassés par la trouée de Lemberg que l'ennemi emprunte trop facilement, les Autrichiens ont visiblement préféré se positionner en force au centre du dispositif, annihilant au passage un corps russe trop avancé. Il reste donc le cas de Tarnopol. La capitale a reçu des nouvelles du Comte Friedrich von Berg-Rzykowski. Elles annoncent que le général tient une excellente position sur la route des Carpathes & que, malgré un roulement incessant & une artillerie impitoyable, les Russes ont été à chaque fois repoussés. Les Autrichiens, mettant en ligne les divisions de trois armées, ont contenu l'ennemi & conservé Tarnopol. L'assaillant a tenté vainement de déloger les Autrichiens des maisons & n'a pas hésité à faire usage des plus gros calibres de son artillerie. Ce dut être, au milieu de ce pays tourmenté, une scène horrible de carnage. Après ces intenses bombardements, la ville n'est plus qu'une ruine fumante & les officiers, horrifiés, relèvent le nombre de morts dans les rangs.

- Diversions italiennes - 

Les surprenantes initiatives italiennes ne connaissent pas de lendemain & sont dirigées sur des fronts annexes avec la plus grande désinvolture. Après avoir occupé la ville de Tiflis, les divisions italiennes se trainent maintenant avec la démarche poussive, démoralisée & lente de soldats à qui il ne reste que peu d'espoir, vers Bakou, au bord de la Mer Caspienne. Arrivée à la fin de la saison, la colonne se heurte à trois lignes successives de tranchées & ne peut lancer un assaut soudain. C'est terrible, car les Russes ont déjà levé les troupes qui peuvent détruire ces pauvres Italiens, enfermés bientôt dans une véritable souricière. D'ailleurs, Tiflis a été libérée. Les Italiens sont coupés du rivage. 

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Une autre opération avait retenu l'attention des stratèges, une opération navale cette fois. Dans le Golfe de Finlande, nous avions laissé la marine italienne prise dans les glaces de l'hiver. Avec le redoux, les manoeuvres pouvaient reprendre & la marine russe est venue fermer le golfe, traquer l'ennemi, puis exécuter les téméraires marins italiens. Toute l'escadre est anéantie, comme avait été anéanti le corps d'armée lancé sur Saint-Pétersbourg. A Rome, comme dans toutes les villes italiennes, ces revers émeuvent les mères, les épouses, les soeurs. Tant de sacrifices pour rien !

- Chassé croisé dans les mers - 

Les Italiens, qui se croient tout permis, ont décidé de forcer une seconde fois le passage du Bosphore & des Dardanelles. Or, si le Sultan de Constantinople était resté allongé dans son divan cet hiver, il attendait l'escadre italienne de pied ferme, en ce beau printemps, avec les soldats de la Garde déployés sur les quatre cents quatre-vingt mètres du pont de Galata, qui relie l'Europe à l'Asie. Mais, sans navire de guerre, les Turcs ne peuvent empêcher la marine italienne de repasser les détroits en sens inverse, après ses tribulations osées en Mer Noire. Pour les Italiens, cette manoeuvre est, on ne peut plus opportune, car dès les jours suivants, une escadre russe arrive en Mer Noire, pendant que la marine britannique vient obstruer les Dardanelles. Cette même Royal Navy, qui a fermé le canal de Suez aux navires turcs, que le Sultan souhaitait voir revenir au plus tôt. Les Turcs sont pourtant les alliés déclarés de la Grande Bretagne & ils n'obtiennent pas le droit de traverser le canal. Qu'est-ce donc que cette chinoiserie de la perfide Albion ? C'est à n'y rien comprendre ! Notons qu'à Suez, la situation est encore plus confuse, avec des ouvriers en grève, un canal bloqué six jours sur sept & un roulement d'effectif de l'armée britannique. Ce sont maintenant les Gordon Highlanders qui doivent surveiller ce point stratégique &, heureusement, ils savent y faire.

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Ceci nous amène à observer plus attentivement d'autres manoeuvres maritimes, comme celle opérée par la flotte russe, composée de deux escadres, à la poursuite des navires autrichiens en Mer Rouge. Conscients du danger, les marins autrichiens ont pris la poudre d'escampette jusqu'au large de l'Hadramaut. En Méditerranée, beaucoup se sont cherchés avec des vigies hauts perchées, mais seuls les Français & les Hollandais se sont trouvés, au large de Marseille. Là, les énormes cuirassés français sont parvenus à mettre en déroute l'escadre batave, composée principalement de croiseurs légers.

- Triomphe nippon -

Comme Josué l'avait demandé à Dieu dans la Bible, le soleil a suspendu sa course dans le ciel, lorsqu'un bâtiment de la marine républicaine est venu s'embosser à Hué. Ce croiseur était le dernier des vaisseaux de la puissante escadre française présente en Orient & il brûle aujourd'hui comme une sorcière sur un bûcher, pilonné par les canons des quatre escadres sino-japonaises, qui viennent de remporter une grande bataille, submergeant l'ennemi sous le nombre. De très durs combats se sont poursuivis ensuite sur terre, à Hué, où les Tirailleurs annamites de l'armée française ont résisté jusqu'à la dernière cartouche pour interdire l'accès à la forteresse. Le bastion français est néanmoins enlevé, au prix de lourdes pertes. L'Indochine est coupée en deux par cette intervention fracassante des forces des empires orientaux, qui se sentent en position de force.

- Les Etats-Unis élargissent la guerre -

Voici ce qui a été édité dernièrement dans le Washington Post & nous soumettons immédiatement cet article à la sagacité des lecteurs. La Commission d’enquête du Congrès, présidée par le sénateur Philotus Sawyer, a reçu & entendu monsieur Roustan, ambassadeur de la République Française à Washington. Ce dernier nie farouchement tout financement français envers l’Autriche, mais avoue toutefois que la France entretient de solides échanges économiques avec le royaume d’Italie & participe par conséquent à l’effort de guerre italien. Monsieur Roustan a catégoriquement refusé de répondre aux requêtes américaines au sujet de la cession immédiate des activités du canal de Panama & de la souveraineté française dans la région du canal. Cette ingérence fait peser des risques majeurs, voire des dangers avoués, sur la sécurité nationale américaine. En conséquence, les Etats-Unis d’Amérique ne peuvent se résoudre à laisser une nation tierce menacer de la sorte les intérêts du peuple américain & de son commerce, & envoient à Paris une déclaration de guerre en bonne et due forme. Si Paris veut engager des pourparlers ce ne sera qu’au prix d’une cession totale, immédiate & perpétuelle du canal de Panama & des activités afférentes. On apprend de surcroît, que le correspondant du New York Herald à Rome a eu une entrevue avec le Pape & il se dit autorisé à annoncer que Léon XIII consentirait à prendre l'initiative en vue d'un désarmement général en Europe.  

- Au royaume de Belgique -

La Belgique, par la voix de son souverain, se sent contrainte de rappeler à tous qu’elle est fondée sur les principes de la neutralité - qu’elle respecte dûment - & du libre commerce - qu’elle respecte tout autant. Elle ne participe & n’entend participer à aucune alliance ou entente visant à menacer tout autre État ; elle saura en revanche se défendre avec acharnement si elle devait elle-même être attaquée. Le Roi Léopold II exprime, à ce sujet, sa profonde tristesse face à la multiplication des conflits internationaux & la rhétorique martiale qui a envahi la scène diplomatique. C'est pourquoi l'Ecole Royale Militaire à Bruxelles est renforcée, ainsi qu'un service militaire imposé pour tous les jeunes hommes de dix-huit ans. Sur le terrain, l'armée belge fait soudain forte impression.

- Démission du Prince de Bismarck - 

Dès les premiers jours du printemps, dans les cercles bien informés, on anticipait que le Prince de Bismarck abandonnerait toutes ses fonctions prochainement. On mande aujourd'hui de Berlin que le prince a effectivement donné sa démission au Kaiser Guillaume II. La retraite du grand homme d'Etat est chose faite, lui qui est un chancelier de fer depuis 1867. Un conseil des ministres s'est immédiatement tenu & il en ressort que le prochain homme fort du Reich sera le général Georg Leo von Caprivi, l'ancien chef de l'amirauté allemande.

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Les Hamburger Nachrichten continuent de nous informer sur les opérations de l'armée impériale en Suisse. La France, qui ne semble plus s'impliquer depuis l'occupation de Genève, laisse le Reich s'occuper de tout. Zurich & Berne sont prises, pendant que le reliquat de l'armée de la Confédération se réfugie dans les Alpes.

- Le Louvre détruit par les flammes -  

Un événement tragique s'est déroulé dans le musée du palais du Louvre, à Paris, où trônent tant de chef d'oeuvres des temps anciens, comme le somptueux drapé de la Victoire de Samothrace, que les visiteurs admirent après avoir gravi les marches du grand escalier Daru. Le drame s'est joué en trois actes, plus ignobles les uns que les autres, avec une précision diabolique. D'abord, une explosion de diversion, semble-t-il, a retenti rue François Millet & soufflé de nombreuses vitres. Ensuite, une autre machine infernale, mieux placée cette fois, a explosé devant la caserne des pompiers située rue de Chaligny. Cette caserne, inaugurée en 1886 par le préfet Eugène Poubelle, est actuellement le premier casernement du régiment à être totalement adapté aux exigences du service d'incendie hippomobile. Enfin, le troisième acte, qui est le plus vil, voit des enragés briser les fenêtres du Louvre, pour y lancer des caisses incendiaires & des bouteilles remplies d'essence, qu'ils appellent "cocktail Gambetta". Le feu se propage à grande vitesse & dévore des tableaux remarquables, détruit des sarcophages millénaires, fait éclater des sculptures d'une élégance inégalée depuis l'Antiquité ou  la Renaissance. Cet acte épouvantable a été orchestré par un Belphégor retord & abject. La guerre libère souvent des esprits sadiques & odieux. Mais ici, on atteint les bas-fonds de l'ignominie. Le palais lui-même est très endommagé & les Parisiens qui découvrent cette vision d'horreur au petit matin ont les joues creusées par de lourdes larmes. Je puis moi-même en témoigner, j'y étais.

- L'Empire Ottoman compte sa population -

Sur le fleuve Tigre, la ville séculaire & même millénaire de Mossoul - c'est l'ancienne Ninive des Assyriens - devient une ville majeure avec la visite officielle de Mehmed Kâmil Pacha, le Grand Vizir. Déjà pourvue d'une gare importante, la ville profite de la paix conservée par le Sultan pour s'agrandir & construire de nouveaux quartiers. Car le Sultan espère que quelque incident ne vienne empêcher les Turcs de vivre dans la Concorde. A son instar, de rares gouvernements tentent encore de sauver la vie, en éloignant les feux de la guerre de leurs frontières. Le bourg de Merida au Mexique est maintenant une cité majeure & la ville de Shimonoseki, située à la pointe Sud de Honshu, l'île principale de l'archipel nippon, devient officiellement une municipalité.

Aux Etats-Unis, les autorités fédérales financent plusieurs projets d'électrification & de télécommunications dans tout le pays. Ce projet est porté par le jeune ingénieur Nikola Tesla, qui a fui l'Autriche-Hongrie & reçu récemment la citoyenneté américaine. L'objectif est de munir toutes les bourgades d'un bureau de poste ayant un télégraphe.

- Compagnies maritimes -

La compétition entre les compagnies maritimes reprend, malgré les conflits & les blocus. Et peut-être, justement, parce que certains paquebots ne peuvent plus entrer dans les ports américains, la société turque de transport récupère une large clientèle en mettant sur l'Atlantique de nouveaux steamers pour emporter les migrants vers le Nouveau Monde. En Chine, le gouvernement favorise le commerce en relançant l'idée des marchés locaux & des foires.