LA LIBERTE ECLAIRANT LE MONDE

Le progrès est en marche, le présent déjà plaisant & l'avenir radieux. A Saint-Petersbourg, la Néva dégèle, les blocs de glace s'entrechoquent dans un bruit sourd & répétitif. Les Russes sont ravis de voir arriver le printemps, qui libère les navires qui doivent voguer en Mer Baltique. A Amsterdam, on se réjouit des bonnes nouvelles provenant des Indes néerlandaises. A New York, le Président Cleveland se pavane de fierté devant la statue de la Liberté qui vient d'être fixée sur son socle. L'Amérique est d'ailleurs à l'honneur, dans un calme trompeur toutefois, puisque le beau temps se transforme souvent en orage. D'ailleurs, quelques gouvernements ont soudain un air déconfit & s'engluent dans les tracas. Ainsi Edinbourg, Dublin, Lille, Canton, Panama... 

- La Liberté éclairant le Monde -

Sous le mayorat d'Abram Hewitt, le port de New York est devenu le plus grand du monde & accueille chaque année plus de sept mille voiliers & steamers, ce qui, entre départ & appontage, représente un roulement de quarante navires par jour. Ces derniers sont désormais accueillis par une statue monumentale de la Liberté éclairant le Monde, dressée sur un îlot à l'embouchure de l'Hudson, au Sud de Manhattan. Le monument en plaque de cuivre repoussé a aussi la fonction de phare, sa flamme s'allumant toutes les nuits. La force de son faisceau lumineux est tel, qu'il est visible à une distance de près de quarante kilomètres. Le Président Cleveland, dont la santé est excellente, est venu inaugurer la structure en grandes pompes. Dans la lutte pacifique des principaux peuples industriels, les Etats-Unis montrent leur plaisir à l'émulation, tout en n'étant pas tenté par l'impérialisme colonial. Et même, si l'atypique Hewitt a interdit le défilé de la Saint-Patrick dans les rues de New York, il y fait bon vivre en ce doux printemps, ce qui n'est pas le cas de nombreuses autres régions du monde, d'où d'alarmantes nouvelles nous parviennent.

- Le scandale du Panama - 

Hier à Paris, après un remaniement du gouvernement, la commission des finances a reçu la visite de trois nouveaux ministres & s'est immédiatement rendu compte d'un problème majeur avec la compagnie de percement de l'isthme de Panama. Cette société, dirigée par Ferdinand de Lesseps, sombre dans les abysses d'un scandale dont l'écho résonne jusqu'au Palais Bourbon. Avançant prudemment dans le piège du climat meurtrier & des maladies endémiques de la région, comme la malaria, le paludisme & la fièvre jaune, la direction française semble avoir sous-estimé l'impact des meneurs, qui viennent exhorter les ouvriers. Un ingénieur vient démontrer que le percement est une utopie & a chiffré à 50.000 le nombre de pertes humaines potentielles. Les ouvriers se mettent en grève & le chantier prend déjà une saison de retard. Des bandes munies de bâtons & d'engins incendiaires, bousculent les sentinelles, se ruent sur les paillotes où dorment les travailleurs & y boutent le feu. Plusieurs machines de terrassement sont détruites. En France, les membres de l'Assemblée Nationale sont atterrés & demandent une réaction immédiate du Président du Conseil, Monsieur Henri Brisson. Les éditorialistes déterrent les vieux dossiers & ouvrent ce que l'on peut appeler le gouffre du Panama, dénonçant des malversations & une corruption généralisée des hommes de pouvoir, des députés suspects, des affidés en fuite, dans la jungle panaméenne ou depuis les fauteuils des ministères. L'administration républicaine est totalement débordée & seule l'armée pourrait rétablir la situation. Mais quelle armée ? Le Panama est une province des Etats-Unis de Colombie & la France n'a aucune légitimité pour intervenir. Pourtant, des mesures énergiques doivent être prises. Un vrai feuilleton commence à peine, dont on pressent déjà l'incommode dangerosité.

- Embellissement d'al-Haram - 

Le Sultan des Ottomans est aussi le Calife de l'Islam & à ce titre, Abdul Hamid II se devait de porter une grande attention aux lieux saints & parmi eux à la mosquée sacrée al-Haram de La Mecque. C'est autour de la Ka'aba que les pèlerins tournent sept fois lors du Hadj & c'est vers la Ka'aba que les Musulmans du monde entier se tournent pour accomplir leurs prières quotidiennes. En conséquence, les Turcs restaurent les sept minarets, redorent les coupoles & placent un nouveau dallage en marbre coloré dans la cour. Des mesures sanitaires sont mises en place pour éviter les régulières épidémies de choléra. Des consulats sont bâtis dans le port de Djeddah pour mieux accueillir les élites musulmanes des colonies européennes d'Afrique & d'Asie. Comme il est interdit aux Chrétiens d'entrer dans la ville de La Mecque, les témoignages ottomans sont les seuls que nous ayons pu recueillir. Il est dit à ce sujet, que le Sultan Abdul Hamid II contrôle tous les dons faits aux lieux saints par des Princes étrangers, comme lorsque l'ordre est donné au gouverneur du Hedjaz de refuser une échelle en argent d'une grande valeur envoyée par le Nabab de Rampur. Mais ce qui inquiète davantage les nations européennes, c'est que le Sultan s'affiche en protecteur de tous les pèlerins. Dès lors la protection diplomatique exercée par des puissances chrétiennes sur des sujets musulmans n'est plus reconnue.

- Splendeurs d'Asie centrale - 

Les Russes font tomber peu à peu les barrières que la distance, les déserts, les fleuves, les montagnes mettent entre les Indes & leur empire. Après une escarmouche de cavalerie à la frontière, les colonnes du général Mikhaïl Tcherniaïev ont reçu l'ordre de poursuivre leur raid plus au Sud. Comme on le voit, la Russie suit imperturbablement la route qu'elle s'est tracée. L'avance vers Samarcande est confirmée & comprend deux corps impériaux. Les dépêches de Saint-Petersbourg, sans expliquer cette manoeuvre si importante, sont relatives aux débuts de cette seconde campagne en Asie centrale, alors que les Russes s'avancent dans le pays des Turkmènes de Merv vers Samarcande & qu'ils ont l'espérance de s'emparer de cette place. Mais cette espérance aurait été déçue, s'il faut en croire le récit de l'hebdomadaire Niva, un titre de presse illustré, extrêmement populaire en Russie. L'ancienne capitale de Tamerlan a toujours fait rêver les conquérants & le Tsar a décidé de contrôler cette cité merveilleuse, ainsi que toute la région, sans une once de pensée de partage. Pour cela, Alexandre III n'a pas hésité à envoyer dans la désolation de la "steppe de la faim" ses vaillants Cosaques, qui doivent longer le Kyzyl Koum, le désert de sable rouge totalement vide de présence humaine, qui représente géographiquement un doab ou un interfluve, c'est-à-dire une région entre deux cours d'eau confluents, ici le Syr-Daria & l'Amou-Daria. Si les Russes ne peuvent parvenir à s'emparer rapidement de cette position, ce sera un terrible échec, car leur présence dans la région n'est point garantie & attise les jalousies. Aussi, à Ekaterinbourg, où a été envoyé le Grand-Duc Serge, frère cadet du Tsar, l'inquiétude est vive & l'on craint que les renforts ne puissent arriver en temps utiles. A la fin de la saison, le général Tcherniaïev a fait reculer une première armée indigène. Portant des jumelles à ses yeux, il peut admirer les coupoles bleues de Samarcande. Il y est presque.

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De grandes concentrations de troupes ont lieu en ce moment dans les ports ottomans du Golfe persique. Leur destination éventuelle est tenue absolument secrète. Aussi, les journalistes se donnent-ils libre carrière : les uns imaginent qu'elles ont pour objet l'occupation de nouvelles terres, pendant que les autres disent qu'en cas de conflit en Extrême-Orient, le Sultan pourrait appuyer un allié ou se fâcher avec l'Empire chinois, qui lui interdit toujours tout échange de marchandise. De plus, la présence d'un rassemblement de deux escadres de la Royal Navy au large d'Aden ne fait qu'amplifier les cogitations tumultueuses des stratèges autour de la péninsule arabique.

- Protectorat batave en Birmanie -

A Mandalay, le règne solitaire de la Reine Supalayat n'aura pas fait long feu. Dans le crépuscule d'une vie politique sophistiquée, le soleil se couche définitivement à l'Ouest des pagodes. Le séculaire royaume devient un protectorat hollandais, malgré toutes les simagrées du printemps & le rôle de Supalayat n'est plus que d'être un ectoplasme à la solde d'Amsterdam. Cette ancienne culture à l'architecture élégante, aux rythmes colorés, au langage complexe, garde néanmoins l'espoir de conserver ses droits coutumiers. Ainsi l'a dit hautement & distinctement le général Menno van Limburg, qui occupe Mandalay.

- Sérieuses répulsions en Afrique -

L'Afrique reste le continent le plus mystérieux &, à la curiosité de l'Occident, n'ont répondu pour certains que mutilations & morts. Les fonds & les subsistances en ces régions sont faibles & les soldats doivent se badigeonner de racine d'acacias sur les pieds pour les endurcir. Mais, surtout, les populations indigènes s'entêtent à conserver leurs horizons lumineux & infinis, en refusant l'apport de la civilisation que les nations européennes se sont donnés pour mission. Les Allemands sont toujours au Dahomey, où l'état-major n'a jamais dissimulé que la position n'était guère rassurante. Les Grenadiers de von Hahnke, aux guêtres impeccablement lacées, ne sont pas parvenus à ouvrir une brèche dans les défenses du Roi Glélé. Les forces qui se trouvent plus au Sud, ont reçu l'ordre d'évacuer la petite ville de Porto Novo à l'Est du lac Nokoué. Les Allemands sont donc loin de leurs objectifs, eux qui avaient annoncé venir purger le pays des bandits qui l'oppriment depuis trop longtemps. Huit trains sont préparés pour transporter les effectifs à Lagos, mais pour tous ces hommes, pour la plupart en Afrique depuis douze mois, l'Allemagne semble bien loin, le moral bien bas. Le général au célèbre schlapphut enserré d'un bandeau rouge redonne espoir aux siens, en capturant plusieurs chefs de guerre des Fons & en réussissant à mettre en déroute les Amazones. La capitale, Abomey, est prise. Pour le kaiser, tout est bien qui finit bien.

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Sous l'azur des tropiques, les Espagnols se sentaient confiants, dans ce Golfe de Guinée qu'ils connaissent bien, jusqu'à ce que le général Ricardo de Ortega y Diez n'envoie un télégramme inquiétant. Car, en dépit des tardifs démentis du gouvernement, on ne saurait douter que l'Espagne rencontre de graves obstacles dans le développement de ses tentatives impérialistes. Les Ashantis, que l'on devine bien armés, culbutent une nouvelle fois les indécrottables Ibères, qui s'obstinent.

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Le gouverneur général de l'Etat Indépendant du Congo, un authentique Liégeois nommé Camille Janssen, s'enhardit pour dépasser les frontières & explorer les Terres Inconnues. Pour cela, il entreprend l'inspection du fleuve Congo au-delà de Stanley Falls & accélère les expéditions depuis le Katanga, dans toutes les directions. Il s'appuie sur le très efficace Edmond van Eetvelde - c'est véridique ! - qui engage des mercenaires & des vétérans de l'armée belge pour revendiquer le droit de conquérir la Zambézie du Roi Lubosi Lewanika. L'avance de la colonne par monts & par vaux, traverse les collines & la brousse, mais surtout, contourne les très nombreux lacs. Elle profite de la saison sèche pour progresser lestement vers Lusaka, sachant que la ville principale est Maramba, près des chutes Victoria, les spectaculaires gorges du fleuve Zambèze, observées il y a trente ans par Livingstone.

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Quant aux Italiens, ils reçoivent le bulletin du distingué général San Marzano, qui leur expose les dangers de la situation au Mozambique, dans un rapport qui commande l'adoption de mesures radicales & promptes. Les Italiens allaient à la découverte de l'Afrique australe avec ardeur & énergie. Mais, incapables de terminer promptement la glorieuse mission que le Roi Umberto leur a confiée, les soldats du premier corps se replient aujourd'hui dans la ville portuaire de Maputo. Là, à l'abri d'une attaque indigène, les Italiens sont couverts par l'artillerie de marine & profitent du répit pour retrouver des forces, nettoyer les armes, panser les blessés. Soudain, l'âme latine reprend le dessus & les Grenadiers effectuent un raid pour annihiler les Tsongas, qui se noient dans le fleuve Limpopo. Cependant, revenant vers Maputo, le corps du général San Marzano est violemment attaqué par les Boers, qui n'ont pas hésité à sortir du Transvaal. Salement accrochés par ses rudes gaillards & frôlant l'anéantissement, les Grenadiers italiens parviennent à se réfugier dans Maputo, grâce à leur expérience & le soutien de l'escadre.

De l'autre côté de l'Equateur, entre Libye & Soudan, la Cavalerie coloniale italienne vient défier le Sahara, en empruntant la seule piste possible entre Koufra & Dongola. Un vrai cauchemar logistique & un suicide annoncé pour les pauvres hères lancés dans la fournaise. Les Italiens doivent franchir le Jebel Uweinat, un massif montagneux difficile, mais abritant quelques palmeraies, pour entrer au Soudan. On ne sait exactement ce que les généraux transalpins ont dans la tête en envoyant une colonne militaire dans le pays du Mahdi, l'homme qui a chassé tous les Européens impudents qui se sont aventurés là. En Italie, les femmes prient & comptent sur un miracle pour le retour de ces hommes.

- Grands musées nationaux - 

Après deux ans d'une compétition culturelle remarquée, il faut féliciter les mécènes des grands musées du monde & les villes qui travaillent le plus à leur embellissement. Avant de pouvoir visiter une Exposition Universelle qui pourrait être bientôt annoncée, les passionnés & les badauds savent où se rendre pour s'instruire & s'émerveiller, car la curiosité est l'âme de la vie. Voici le classement des plus beaux musées nationaux, étendards de l'investissement culturel des nations : 1. Kunsthistorishes Museum de Vienne AUT - 2. Metropolitan Museum de New-York USA - 3. Altes Museum de Berlin ALL - 4. Palais du Louvre de Paris FRA - 5. Arkeoloji Müzesi de Constantinople OTT - 6. Musei Capitolini de Rome ITA - 7. Museo del Prado de Madrid ESP- 8. British Museum de Londres GBR - 9. Rijksmuseum d'Amsterdam HOL - 10. Musée de l'Ermitage de Saint-Petersbourg RUS - 11. Museo Nacional de Mexico MEX - 12. Galerie Nationale Honkan de Tokyo JAP. Au désespoir de leurs habitants, deux puissances n'ont jamais misé le moindre sou dans ce domaine. Ce sont la Belgique & la Chine, qui n'ont pas de musée national ou alors pensons que ce sont des bâtiments vides ou dans un piteux état !

- Compagnies ferroviaires & maritimes - 

Fendant les vagues océanes de sa proue d'acier, le steamer néerlandais KM Soembing déploie tous les chevaux-vapeurs de ses machines pour relier la métropole aux destinations sud-américaines. Le rapide paquebot devient le symbole de la détermination hollandaise, qui souhaite dominer le trafic océanique civil & devenir la première compagnie du monde.

A Londres, tous vous diront qu'ils ont un principe : la mer est anglaise. La mer, c'est le monde lui-même, puisqu'elle est la route qui en relie les diverses parties. Mais c'est à Hambourg, que les hommes sont les plus entreprenants pour garantir l'essor de leur compagnie maritime. De nouvelles lignes entrent en compétition pour emporter les migrants vers l'Amérique.

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La République met les bouchées double pour rattraper son retard en matière de lignes ferroviaires. Voilà pourquoi Paris est reliée à Tours, Bordeaux, Toulouse, Montpellier. Les Autrichiens traversent les Carpathes de Klausenbourg à Bucarest, puis les Alpes Dinariques de Belgrade à Sarajevo & Split. Plus loin, il y a tellement à faire. Pour cela, le Tsar de toutes les Russies s'est adressé d'abord aux Belges & maintenant aux investisseurs allemands pour l'aider à poser des rails & financer l'achat de trains performants. Les Allemands réalisent l'exploit de relier Moscou à Ekaterinbourg, en une seule saison, passant par Nijni-Novgorod, Kazan, Ijevsk & poursuivant vers Tchéliabinsk & Aral. Dans le vaste Empire Ottoman, les ouvriers ferroviaires se sont remis au travail, afin de relier Constantinople à Ankara, par un audacieux pont sur le Bosphore. A Ankara, la voie est prolongée vers Kirrikale & Sivas, puis change brusquement de direction à travers la Cappadoce & les montagnes du Taurus pour rejoindre Alep & Damas. Là, les ingénieurs turcs prennent la pose devant les appareils photographiques des journalistes en serrant symboliquement la main de leurs homologues britanniques, qui font la jonction damascène depuis Port-Saïd, via Jérusalem.

Dans les colonies, la France poursuit sa percée à travers la jungle du Cambodge & du Siam en reliant Battambang à Bangkok. Les Italiens progressent toujours en Libye, relient Tripoli, Misurata & Syrte... & déblayent même le site antique de Leptis Magna.

- La Flèche du Brabant -

Leurs Majestés royales Léopold II de Belgique & Wilhelm III des Pays-Bas, refusant de sombrer dans la sinistrose ambiante, s'accordent pour promouvoir "la petite reine" c'est-à-dire la bicyclette & ses courses endiablées. Une course, baptisée Flèche brabançonne, parcourt les campagnes de Bois-le-Duc à Bruxelles, sous les vivats d'une foule enthousiaste, agitant des petits drapeaux aux couleurs du lion brabançon. Les machines étant très coûteuses, le cyclisme est considéré comme un sport exclusivement réservé aux riches & l'événement est vu comme une affaire de gentlemen. L'arrivée, jugée sur la Place des Palais, voit le Belge Léon Houa remporter le trophée.

- Libération de John Dustin Archbold - 

Le pied sur la barre du gouvernail d'un frêle esquif, un homme pauvrement vêtu tire sur la drisse de la voile triangulaire. Seul, il appelle depuis son bateau un homme & ses deux enfants, qu'il a été chargé d'amener prestement à Aden. Là, les Etats-Unis d'Amérique étaient confrontés à un dilemme pour extirper de l'Hadramaout un homme de valeur. Sans l'avouer, il semble que le gouvernement se soit résolu à payer la rançon & obtenir la libération de John Dustin Archbold. A Washington, personne n'a pu soutirer le moindre renseignement, mais il apparait que cette histoire est des plus énigmatiques. Que faisait cet Archbold dans la péninsule arabique ? Y a-t-il eu arrestation ? D'aucuns se demandent ce que cet Américain, connu pour avoir travaillé pour Rockefeller, mais aussi pour des industriels allemands & des banquiers français, prospectait dans la région. Cette libération n'est que l'introduction à une enquête à venir, qui promet d'être profonde. Ceci, d'autant que les ministères les plus exigeants se montrent particulièrement généreux avec leurs puissants services secrets. 

- Désordres inquiétants - 

Hier, la population de Lille a été mise en émoi par de graves événements. La canaille s'est éveillée & a défié la maréchaussée, que l'on dit impuissante à tenir tête au mouvement d'impopularité qui grandit. Les gendarmes à cheval gardent les rues qui mènent à la place de la République, mais seront évidemment insuffisants. Il faut envoyer l'armée.

En Chine aussi, la contestation s'est fait jour à Canton, où règne un chaos indescriptible. Des bandes de voleurs mettent à sac les étalages des épiciers & autres marchands, pendant qu'une foule attaque les ambassades. De nombreux chrétiens y sont massacrés, des hôtels brûlés. La France ne peut plus lever de troupes dans la concession & la Chine ne peut espérer de revenus d'une cité qui vit de si difficiles moments. 

Pendant que les Stambouliotes dorment tranquilles, le commissaire Iktidarsiz se rend chez les herboristes du quartier de Galata, opérant saisies sur saisies, confisquant de-ci de-là les plantes médicinales suspectes & les ingrédients que les pharmaciens sont seuls autorisés à débiter. Car, les Capulets & les Montaigus, qui ensanglantèrent jadis les rues de Vérone, ne sauraient entrer en comparaison avec les pharmaciens & les herboristes de Constantinople & nous devons rendre grâce à l'adoucissement des moeurs de notre époque, qui ne laisse que la loi & ses agents pour neutraliser les trublions. La Garde du Sultan, établie dans la capitale, étouffe aussitôt tout débordement.

- L'empire vermoulu du Roi Alphonse - 

Dans la salle du trône du palais royal de Madrid, l'orage gronde. Les dernières nouvelles reçues de Cuba ont produit la plus grande effervescence parmi les proches du Roi Alphonse XII, lorsque le ministre des Colonies les a lues à haute voix. A La Havane, une foule nombreuse s'est précipitée à travers les rues vers le palais du gouverneur - le débonnaire Emilio Calleja est en fuite - où elle a brisé les vitres, arraché & lacéré le drapeau espagnol. L'agitation a encore augmenté lorsque la foule s'est rendue devant un hôtel près du théâtre Tacon, où loge José Marti Perez, lui demandant s'il acceptait de prendre le destin du pays en main & déclarer l'indépendance de l'île. José Marti Perez est un penseur bien connu des services espagnols, puisqu'il mène un combat révolutionnaire depuis des années & a été plusieurs fois emprisonné. Remarquons cependant, que si les Espagnols semblent ne pas bouger le moindre petit doigt dans cette affaire, les Etats-Unis lancent l'opération "Cuba Libre". Pour cela, ils font débarquer de nuit, l'infanterie légère d'Oliver Otis Howard, un vieux général manchot, qui est connu pour ses remarquables aptitudes à négocier avec l'adversaire. Apaches, Nez-Percés, Ku Klux Klan, Bureau des réfugiés, tous ont pu être écoutés par ce diplomate hors pair. Le lendemain matin, les Cubains acceptent la pacification américaine, mais les éditorialistes locaux interrogent leurs lecteurs. Qu'a pu promettre le Roi Alphonse XII à Washington pour cette intervention ? Et est-ce vraiment un bon plan que d'inviter les Américains à s'installer à La Havane ? 

- Victoria annule son voyage en Ecosse - 

Par une anomalie bizarre qu'il n'est pas rare de rencontrer dans ce pays, William Gladstone a pris ses dispositions avec un flegme peu ordinaire. En Ecosse, ordre a été donné à la force armée de réprimer le tumulte. Les limiers de Scotland Yard ont préparé le terrain & remonté plusieurs pistes, ce qui nous permet d'écrire que le Foreign Office a eu fort à faire ces derniers jours. Mais c'est bien l'armée qui doit restaurer l'autorité de la Reine Victoria à Edimbourg & l'armée, malheureusement, n'est toujours pas là... jusqu'à ce que la Royal Navy débarque la troupe revenue malade d'Egypte, dans le climat froid & humide de la Clyde, à Glasgow. Le temps d'échanger & intégrer quelques bataillons autochtones & l'armée de Lord Blackwood revigorée peut enfin ramener l'ordre à Edimbourg. C'est alors que les journaux du royaume rebondissent sur les émeutes de Dublin, qui viennent d'éclater.

Les révoltes écossaise & irlandaise font décidément désordre à deux mois du jubilé de la Reine Victoria, qui va fêter ses cinquante ans de règne. La chienlit irlandaise doit être écrasée au plus tôt par l'armée, car cette situation est très sérieuse. Une révolte en Irlande crée immédiatement une polémique qui pourrait tourner au tragique & passionner toute l'Angleterre. Au cours même de la lutte engagée au Parlement autour du projet de coercition gouvernemental, le Times a publié un document de nature à déshonorer les Parnellistes. Il s'agit d'une lettre que Monsieur Charles Stewart Parnell aurait écrite pour encourager le parti de la dynamite & de l'assassinat. L'exaspération des représentants irlandais au Parlement est telle, qu'ils veulent rétablir l'usage du duel pour fermer la bouche à leurs adversaires.

- La perle de l'Adriatique -

Depuis la fin de l'empire romain, Split a toujours bénéficié d'une position idéale sur la côte dalmate. L'Empereur François-Joseph la place désormais au rang des plus grandes cités d'Europe & exige que la compagnie ferroviaire nationale relie la ville & y érige une gare prestigieuse. A l'ombre de la tour de la cathédrale, dominant le mausolée de Dioclétien, les Croates viennent défiler fièrement, afin de remercier l'Empereur d'investir dans leur région. Tous les voyageurs rentrent émerveillés de la visite de cette ville exceptionnelle - les rues du coeur historique sont à l'intérieur de l'ancien palais impérial - qui a agrandi le port, aménagé de nouveaux quartiers & dressé une digue le long de la mer pour les promeneurs.

L'inimitable Gênes, au plan en arc de cercle, entourant une rade en forme de théâtre, devient majeure. Le plus grand port italien prend de l'ampleur au niveau international & de plus en plus grande est sa renommée. D'ailleurs, le blue jean's que portent les pionniers dans l'Ouest américain n'est-il pas un pantalon de toile de Gênes ?

La bouillonnante Leipzig prend à son tour le titre de cité majeure, elle qui possède une séculaire université, dont la faculté de Géographie est notoire, bien au-delà des frontières du Reich. Cette institution est dirigée par l'éminent Ferdinand von Richtofen, un géographe & géologue prussien, encensé par ses collègues en raison de ses atlas descriptifs d'une précision méticuleuse.

Au bord du Nervion, Bilbao est depuis longtemps un centre industriel vital pour l'Espagne & évolue pour devenir une ville majeure.

Au Japon, la ville de Kobe reçoit un plan d'aménagement propre pour devenir, elle aussi, une ville majeure. Son port est l'un des plus achalandés du monde.

- Consortiums actuels -

Lorsque les Occidentaux arrivent dans les ports japonais, ils sont estomaqués par l'extraordinaire dynamisme industriel de l'archipel. Mais ce sont les puissances du Vieux Continent qui se rebiffent & s'emploient à redresser leur économie, en créant de nouvelles sociétés. Ainsi, la Royal Small Arms Factory d'Enfield, près de Londres, ainsi que la Manufacture d'Armes de Saint-Etienne, près de Lyon, engagent de nombreux ouvriers. C'est d'ailleurs dans le domaine de l'armement que les clients ont le plus de choix à l'heure actuelle. Notons encore que les Cotonnades du Nil au Caire, passent sous pavillon ottoman, les Britanniques transférant le contrôle de ce consortium aux Turcs, pour dix ans.

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Alimentaire : Abyssinie, Argentine, Ceylan (ROYAUME UNI), CHINE, ITALIE, MEXIQUE, TURQUIE.

Armement : AUTRICHE, BELGIQUE, CHINE, ESPAGNE, FRANCE, ROYAUME UNI, Suède.

Banque : FRANCE, JAPON, ROYAUME UNI, Suisse.

Chantier naval : ESPAGNE, Grèce, JAPON, ROYAUME UNI.

Charbonnage : ALLEMAGNE, ETATS-UNIS, Mandchourie (CHINE), Mozambique.

Chimie : ALLEMAGNE, JAPON, Norvège, ROYAUME UNI.

Gisements : Brésil, Congo (BELGIQUE), Etats Malais (PAYS-BAS), Matebeleland, Nigeria (ALLEMAGNE), RUSSIE.

Machines outils : Danemark, ITALIE, JAPON, PAYS-BAS, RUSSIE.

Mines : Australie, Côte d'Or, Katanga (BELGIQUE), MEXIQUE, RUSSIE.

Pétrole : Azerbaïdjan (RUSSIE), Birmanie (PAYS-BAS), ETATS-UNIS, Roumanie, Sumatra (PAYS-BAS).

Sidérurgie : BELGIQUE, ESPAGNE, JAPON, MEXIQUE.

Tabac : Barbade, Cuba, JAPON, MEXIQUE, Nicaragua, TURQUIE.

Textile : AUTRICHE, Corée, Egypte (TURQUIE), Gujarat (ROYAUME UNI), Maroc (FRANCE), Pendjab.

Verrerie : AUTRICHE, Canada, CHINE, FRANCE, Perse.

DATE LIMITE DE L'ETE 1887 : VENDREDI 14 JUILLET